RAPPORT DE MISSION CAMBODGE. CREATION D’UN ATELIER PHOTO A PHNOM PENH. SEPTEMBRE A DECEMBRE 2000
Je suis arrivé à Phnom Penh, Cambodge, le 7 septembre 2000, pour une mission de plus de trois mois en partenariat avec l’AFAA, l’ambassade de France et le centre culturel français afin de créer un atelier photo avec un groupe de 10 étudiants de l’Académie Royale des Beaux Arts de Phnom Penh.
Le centre a mis à ma disposition une salle de classe ainsi qu’un traducteur pour les deux premiers mois de cours.
Les étudiants étaient âgés de 18 à 24 ans et n’avaient aucune notion de photographie. Les cours avaient lieu tous les jours de 14 h à 17h 30 et nous disposions en tout de six appareils photos en état de marche. Ils devaient, à tour de rôle se partager les boîtiers. Le premier mois, il était important de leur expliquer le b-a-ba de la technique photographique et également, de leur donner goût à l’image. J’ai donc glissé à l’intérieur des cours des leçons d’histoire, ainsi que la possibilité d’utiliser au maximum le matériel du centre, comme la bibliothèque, qui contenait de nombreux livres photos et aussi la salle vidéo pour leur montrer des reportages, des documentaires et visionner des films cinématographiques.
Il faut savoir qu’à Phnom Penh il n’y a aucune salle de cinéma, aucun théâtre, pas de salle de concert et une seule bibliothèque moderne pour une ville de plus d’un million d’âmes. La ville et le pays sont un véritable désert culturel. Le niveau d’études et de culture générale est, après 25 ans de guerre, extrêmement bas. Les étudiants n’ont pratiquement jamais eu la possibilité d’ouvrir un livre de quoi que ce soit et n’étudient que grâce à des photocopies ! C’est pour tout ceci qu’il me parut important dans un premier temps de déclencher chez eux la curiosité, le désir et le plaisir de la connaissance.
Nous avons donc profité de toutes les opportunités que nous offrait le CCF. Tous ensembles, nous sommes allés à la bibliothèque pour découvrir, regarder et commenter les livres de Cartier Bresson, William Klein, Pierre Verger…Nous avons également entrepris une recherche iconographique à l’Institut des Archives de Phnom Penh afin de trouver des photographies du Cambodge du début du siècle. Nous sommes allés au festival du film cambodgien, manifestation organisée par le centre où ils ont choisi eux même les films. J’ai demandé à avoir accès à un ordinateur pour consulter les sites photos sur Internet, où ils ont pu se documenter sur la Maison Européenne de la Photo ainsi que le Mois de la Photo à Paris… Ils ont regardé la programmation de différentes galeries comme la Galerie Municipale du Château d’Eau à Toulouse, le Centre National de la Photo à Paris etc.. Nous sommes allés à l’inauguration de l’exposition de Roland Neveu qui exposait ses photographies réalisées les 17 et 18 avril 1975 lors de l’entrée des Khmers Rouges dans la ville. Pour eux, pas encore née à l’époque, ce fut une chance de rencontrer un témoin privilégié de ces évènements tragiques et de pouvoir, en présence de l’artiste, discuter et commenter ces photos historiques.
Pendant tout ce mois ils n’ont jamais fait de photographies. Je désirais qu’ils connaissent parfaitement l’outil, l’appareil, avant de les emmener en mission, en reportage. A mes yeux, il était primordial qu’ils connaissent la base de la photographie ainsi que de leur montrer l’importance d’une image, dans son rôle social et historique mais également dans un sens plus large, comme celui de la photo artistique. Tout ceci était pour eux une vraie découverte.
Au bout d’un mois de cours intensif et après avoir réalisé quelques essais avec le matériel, j’ai pris la décision de les emmener en reportage photo sur le site d’Angkor, à 350 kilomètres de Phnom Penh. Je pensais, grâce à ceci, leur donner l’envie de vivre une aventure commune, leur montrer ce que les Khmers avaient fait de plus beau, les plonger dans leur propre mémoire et les faire réfléchir à une petite histoire autour des temples. J’avais insisté sur le fait qu’il y avait plusieurs façons de photographier les temples et qu’on n’allait pas reproduire Angkor comme une simple carte postale, mais qu’ils devaient trouver techniquement ou artistiquement une idée originale et personnelle sur le site. J’avais envie qu’ils mettent à profit ce mois de cours afin de jouer sur les cadrages, la perspective, la profondeur de champ, la lumière, etc..
J’ai donc demandé à Roland Celette, directeur du centre culturel français et à l’Ambassade de France un budget afin que l’on puisse se rendre sept jours sur le site d’Angkor. La demande fut accueillie chaleureusement et avec l’aide des services français et de la princesse Bophadevi, Ministre de la culture au Cambodge, nous avons obtenu 300 dollars à gérer par nos soins, 50 pellicules couleur et un laisser passer sur le site pendant toute la durée du séjour. L’argent servit à louer un minibus avec chauffeur pendant ces sept jours, ainsi qu’un logement sur place pour l’ensemble de la classe. Les étudiants ont pris en charge eux même leur nourriture.
Là-bas, nous étions ensemble pratiquement 24 h sur 24. Nous avons travaillé sur le site du lever au coucher du soleil, avec un repos de deux heures le midi pour le déjeuner. Les cinq jours furent d’une grande beauté, le spectacle qu’on avait devant nos yeux était magnifique, mystérieux et magique. Une fois sur les temples, les étudiants étaient entièrement libres de photographier ce qu’ils voulaient, il n’y eut aucun contrôle de ma part, laissant ainsi la possibilité à chacun de s’exprimer et de trouver sa propre sensibilité artistique. Pour la plupart, c’était la toute première fois qu’ils voyaient en vrai Angkor, le plus pur symbole de leur histoire. Ces cinq jours furent d’une grande richesse basée sur un échange et un respect mutuel où nous devinrent, sans le savoir, de vrais amis. Nous venions de vivre une grande aventure humaine.
Nous sommes rentrés avec l’idée d’avoir accompli une mission, leur toute première, et l’excitation de découvrir le résultat photographique. Une fois à Phnom Penh, nous sommes allés développer les photos. Le résultat était plus que satisfaisant. Chacun, dans un style différent avait trouvé une certaine sensibilité, on était loin des cartes postales. Pendant deux jours, nous avons commenté et étudié ensemble les photos afin de corriger les erreurs de cadrage ou bien de lumière. Au final, nous avons fait une sélection d’une cinquantaine d’images pour les présenter à Roland Celette. Roland fut lui-même surpris et me proposa de monter une exposition pour le vendredi 6 décembre, dans la galerie du CCF.
A mon retour, j’ai rencontré une jeune fille, étudiante en lettres qui parlait parfaitement français et voulait devenir journaliste. Elle était venue par curiosité et parce que des élèves lui avaient parlé de la création de l’atelier photo que je dirigeais. S’intéressant à tout ce qui touche l’image en général, je lui ai demandé si elle voulait intégrer le cours, en pensant qu’elle pouvait écrire par exemple les textes et le récit qui accompagne les images. Désormais, nous étions treize à travailler chaque jour ensemble. Par chance, nous avons créé une vraie équipe de jeunes reporters.
Au cours d’une manifestation de solidarité, j’ai longuement parlé avec la directrice de Handicap International Cambodge. Elle m’a gentiment demandé si j’étais intéressé pour faire travailler les étudiants sur deux bidonvilles de la ville dans lesquels l’ONG avait un programme de développement et d’éducation. Son idée était que les Cambodgiens eux-mêmes se photographient, avec leur propre regard plutôt que sans cesse faire appel à des photographes étrangers.
L’idée me plut et tout de suite j’acceptai en pensant ainsi les faire travailler sur un reportage social en tentant de construire une histoire autour des habitants de ces quartiers. Après l’immobilité des pierres d’Angkor, je désirais qu’ils changent d’univers afin de leur montrer différentes facettes de la photographie. Qu’ils essayent d’obtenir un autre regard sur le monde qui les entoure et qu’ils découvrent cette difficulté de photographier des gens que l’on découvre à peine et par la même, pénétrer l’intimité de l’homme dans sa vie de tous les jours.
Pendant une semaine entière, nous nous sommes rendus dans ces quartiers qui étaient par ailleurs complètement inondés et donc difficiles d’accès. Ce fut un travail de coopération très intéressant et enrichissant pour chacun de nous. La jeune journaliste questionnait les gens, prenait des notes et les étudiants, en accord avec elle sur le sujet, faisaient les photos.
En présence de la directrice de l’ONG, nous avons découvert ensemble le résultat. C’était vraiment un beau travail, sensible et doux dans les regards. La directrice fut très heureuse et leur promit une exposition itinérante dans les grandes villes du Cambodge qui débuterait pour février 2001.
Afin de nous préparer pour l’exposition du 6 décembre, nous avons agrandi les cinquante images, puis mis sous verre, encadré et réalisé nous même l’accrochage et l’éclairage afin d’être prêts pour le vernissage. Nous avons organisé un buffet et mes étudiants habillés sur leur 31 étaient vraiment émus, leur première exposition s’ouvrait aux yeux du public. Ce fut pour eux et moi-même un grand moment de joie et de fraternité.
La dernière semaine de cours, je les fis travailler sur la grande décharge publique de Phnom Penh pour y réaliser un sujet magazine avec textes et images. Je pense honnêtement que l’on pourrait proposer le sujet à des journaux français, cela me semble une bonne idée à développer. Un reportage complet sur le lieu, les conditions de travail de ces enfants qui à peine finis les cours de classe vont dénicher dans des montagnes de détritus du fer, des vêtements, du plastique…, le tout, pour quelques centimes. Il y a là un vrai sujet de reportage.
Le 17 décembre 2000, je donnai, non sans regret mon dernier cours de photo.
Je suis arrivé le premier jour de classe en leur disant que j’attendais de ce travail un échange mutuel. Ils m’ont regardé surpris et sûrement en se demandant bien ce qu’ils avaient à m’offrir. Après trois mois à leurs côtés, je sais qu’ils m’ont donné énormément, plus que je n’imaginais. Peut être tout simplement de l’enthousiasme, de l’espoir dans ce pays si difficile et un accès direct à leur propre mémoire. J’espère en avoir fait de même, en ouvrant des portes afin de déclencher la curiosité du monde et leur donner, peut-être, l’envie de continuer la photographie pour en faire un métier. Ce fut du moins un début.
Je pense sincèrement que l’atelier photo à besoin de continuer tout au long de l’année. Par expérience personnelle et pour le bien des élèves, vu les difficultés du pays, il faut impérativement qu’il y ait un suivi, sans laisser d’espace dans le départ et l’arrivée d’un nouveau professeur. Il faut instaurer un roulement continu parce que les Cambodgiens en général ont trop souffert de ces 25 années de guerre, plongés dans ce grand bond en arrière, et qu’ils cherchent à rattraper en seulement quelques années. Souvent ils ne voient pas l’intérêt d’apprendre et d’étudier dans un pays ou seul l’argent vite fait à une vraie valeur. C’est pourquoi il faut faire vite pour capturer ce qui pensent peut être différemment afin de ne pas perdre cette toute première génération.
Je pense aussi qu’il faut au moins deux à trois mois de cours pour faire un travail qui a un sens. Le pays, par son climat, ses difficultés matérielles et sa culture si éloignée et différente de la nôtre ne s’apprend pas en quinze jours. Il en est de même pour eux. Lorsque l’on arrive la première fois, on se retrouve complètement déstabilisé et il faut un certain temps pour trouver ses marques et se faire accepter.
Je résumerai en disant que le Cambodge s’ouvre à qui veut bien prendre le temps.
Je me souviens, pour preuve, que lors de mon arrivée, beaucoup de membres du personnel du CCF, m’avaient averti du manque d’assiduité des étudiants en général. On me disait que j’en aurais dix le premier jour et cinq ou six au bout d’une semaine, qu’ils n’étudiaient pas, n’avaient aucune curiosité et rechigneraient à la moindre difficulté… Modestement, j’ai commencé la classe avec dix élèves et nous avons fini à treize. Ceci n’est pas dû à mon talent pédagogique mais plus simplement à l’envie, l’honnêteté et la générosité avec laquelle on part en mission. Pendant toute la durée du séjour, j’ai rêvé à comment j’aurais voulu apprendre la photographie à l’école.
Nicolas Pascarel, janvier 2001
Lire PDF:
S21 pascarel Memoria degli anni della pioggia